ISABELLE DOYEN
" LES ODEURS QUI M'ÉMEUVENT LE PLUS AU MONDE SONT CELLES DU ROUGE À
LÈVRES ROSE FUCHSIA
UN PEU PÉTARD"
Des années professeure à l’ISIPCA, Isabelle Doyen a formé de nombreux parfumeurs tels que Francis Kurkdjian ou Mathilde Laurent. Créatrice de parfums indépendante, elle collabore avec Annick Goutal dès l’âge de 26 ans et ne la quittera plus. C’est ainsi qu’elle rencontre sa fille Camille, devenue « aussi proche qu’une nièce ». Celle qui se décrit comme une « éponge animée par l’enthousiasme » nourrit son inspiration dans ses passions pour la lecture, les expositions de peinture et ses goûts décalés pour un chef d’orchestre, un danseur, un pianiste ou deux chanteurs lyriques dont elle guette assidûment les performances. Elle est l’auteure notamment de L’Antimatière et Turtle Vetiver pour Les Nez, de Nuit de Bakélite de Naomi Goodsir et de Ce Soir ou Jamais, à quatre mains avec Annick Goutal.
SON
« Les musiques de Bob Marley ou d’Alpha Blondy m’évoquent le soleil, me mettent en joie et me donnent envie de danser ... L’essence de limette exprimée, surtout celle de Tahiti avec ses accents de citron vert, me fait le même effet. Déboucher un flacon suffit à me donner le sourire. »
intime
« Les matières qui me ressemblent le plus sont le galbanum – la première sentie à l’école qui m’a ébouriffée tant elle était à la fois concrète, abstraite et hyper énergique, une révélation - et l’iris – phénoménale aussi puisqu’à la fois brute comme une racine et sophistiquée comme un gant de peau. Je suis empreinte des mêmes contradictions que ces ingrédients, avec un côté classique et bien élevé et un autre, plus déjanté et rock ’n roll que je ne rejette pas, bien au contraire. Même si je peux paraître très calme, je bouillonne à l’intérieur. Cette effervescence est dans mes flacons.
LITTÉRATURE
« Ma première rencontre avec Rimbaud date du CM1 avec « Le dormeur du Val ». Je me demandais pourquoi le poète avait décrit cet homme les pieds dans les glaïeuls alors que ces fleurs ne sentent pas. Drôle de questionnement ! Ma fascination pour le poète est restée intacte. Je lui dois mon goût immodéré pour l’odeur des tilleuls en fleur. Autre éblouissement, la description d’une maison close dans le chapitre Les Similitudes, extrait de « Les croquis parisiens » de Huysmans. L’évocation des parfums des prostituées est vertigineuse. Et « Le cabinet sentant l’iris » … Proust bien sûr avalé tout entier en 5 jours »
destination
« Je suis marquée par La Polynésie, où j’ai vécu de 5 à 10, puis de 13 à 15 ans. Le tiaré et le frangipanier, mes fleurs du quotidien d’alors, sont ancrées dans ma mémoire olfactive. Je ne suis retournée là-bas qu’une fois, avec Camille »
IDOLES
« Je proposerais bien au danseur de flamenco Israël Galvan de lui composer un parfum, parce que je suis fan de ce qu’il est et que je ne rate aucun de ses spectacles. A Gérard Manset aussi, mais justement parce que ce n’est pas le genre d’en porter. Je ne sais pas encore ce que je pourrais créer pour l’un et l’autre ».
mythe de la parfumerie
« Mitsouko de Guerlain me fascine, parce que c’était le parfum de ma mère mais surtout parce que c’est une icône d’abstraction. Ce chypre est l’incarnation du mystère absolu. »
ODEURS SENTIMENTALES
« La senteur de la joie serait la carvone, constituant principale de la menthe crépue. Elle m’évoque la menthe Hollywood des chewing-gums éponymes et ce fameux slogan « fraîcheur de vivre » qui incarnait la soif de liberté de toute la jeunesse des années 70 et qui me faisait rêver. Le parfum de l’amour serait celui du céleri, semblable à celui du cuir chevelu des enfants que j’adore et pour le côté charnel, l’Evernyl aux accents animal et mystérieux. »
rituel de crÉation
« Pour composer, je n’utilise que crayon et feuille blanche, et plein de cahiers différents, simultanément. Leurs pages doivent pouvoir se détacher pour être ensuite rassemblées dans un classeur. Comme je suis perfectionniste et que je multiplie les essais, il m’arrive de changer de cahier en cours de route, c’est une manière pour moi de faire page blanche, de reprendre mon élan ».
sillages préférés
« Je pourrais porter toutes les compositions de Voyages Imaginaires à des moments différents. Tea & Rock ’n roll, pour m’asperger facilement dans la journée, La Couleur de la Nuit, plutôt le soir et Le Grand Jeu de temps en temps, juste pour voir l’effet que ça fait. J’ai hâte de le sentir sur un homme ».
EMOTION
« Les odeurs qui m’émeuvent le plus au monde sont celles du rouge à lèvres rose fuchsia un peu pétard, aux effluves de rose et d’iris, que portait ma mère dans les années 60 et qui incarnait pour moi le luxe et la sophistication. Celle aussi de mon oreiller lorsque je partais en vacances chez ma grand-mère, au bord de l’Atlantique. Il était rempli de son, faisait du bruit quand je posais ma tête dessus. Il sentait l’humidité - une odeur de souris selon moi -, et j’aimais tellement cela que je mordais dedans jusqu’à le trouer. Je n’avais que 3 ans. Avec le recul, tous mes souvenirs importants sont olfactifs. »
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